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Deuxième partie : La parentalité inspirée des centres de méditation Vipassana - Les règles

Dernière mise à jour : 16 nov. 2024



La question des règles


Le cadre et les règles proposées dans Vipassana (et dans le bouddhisme) se nomment Sila (moralité). Cette moralité se présente sous la forme de 5 principes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas avoir de mauvaises paroles ni mentir, ne pas prendre d'intoxicants (alcool, drogues, ...), ne pas avoir d'inconduite sexuelle. La portée de ces principes étant de ne nuir ni aux autres ni à soi-même.


Ce sont pour la plupart des règles assez basiques et communes de la société, que nous demandons aussi à nos enfants de respecter.

  • Ne pas tuer > " C'est interdit de taper ou de faire mal aux autres"

  • Ne pas voler > " Ne prends pas les jouets des autres, c'est à lui-elle, on n'arrache pas des mains ! "

  • Ne pas avoir de mauvaises paroles : " Ne me parle pas comme ça !" "Les gros mots c'est interdit ! " " C'est pas beau de mentir " "On ne s'insulte pas !"

  • Ne pas prendre d'intoxicants > "Pas de bonbon avant le repas " "Le café c'est pour les adultes "

  • Ne pas avoir d'inconduite sexuelle > Bon ça ça sera plutôt pour des ados, en faisant attention à ce qu'ils et elles regardent sur internet par exemple !


A ces règles morales s'ajoutent les règles de la maison : ne pas courir, ne pas crier, venir à table, aller prendre sa douche à telle heure, etc.


Lors des semaines d'enseignement de Vipassana, le cadre à Vipassana est encore plus stricte que ce qu'on attend des enfants à l'école : il est interdit de parler ou d'interagir avec les autres, il y a seulement un petit déjeuner et un repas par jour, nous devons rester assi-ses 10h par jour, certaines heures sans bouger, etc. Pour les personnes de service, ces règles sont assouplies mais il y a néanmoins des règles et des protocoles à respecter. Même si nous sommes des adultes et que nous avons choisis par nous-même d'aller dans ces centres ces règles ne sont pas faciles à respecter. Comment ces centres font-il pour faire respecter ce cadre ?


Dans mon histoire avec l'autorité, poser et faire respecter un cadre, surtout aux enfants, comporte toujours un risque de rébellion, et donc de conflit, de tensions. Comme pour beaucoup d’adultes, il m'est arrivé souvent de ne pas être à l'aise avec cet aspect là de la relation aux enfants. Je naviguais entre faire comme si je n'avais pas vu, rappeler timidement une règle ou être subitement trop sévère et surement parfois un peu blessante.


Dans les centres Vipassana, les règles sont importantes et il n'est pas question de fermer les yeux sur la transgression des règles. Par contre, la posture pour le nommer est très importante et a beaucoup résonné en moi (et appris aussi!)



Un autre regard sur les transgressions


Dans cette tradition, lorsque des personnes transgressent des règles ou font des erreurs, elles sont à percevoir comme en souffrance, agitées ou affaiblies. Autrement dit, ce ne sont pas des rebelles, qui le font exprès pour nous embêter ou nous tester ; ce sont simplement des personnes qui font comme elles peuvent.


Pour les enfants, dans ma vision, c'est exactement pareil ! Les enfants perçu-es comme indiscipliné-es, '' enfants rois-reines'', capricieux-ses, "mordeur-euses", violent-es, ou même maladroit-es, inattentif-ves ... sont simplement des enfants en situation de difficultés.


Voici un extrait d'un discours de l'enseignant M. Goenka: "Lorsqu'on développe la capacité de voir les choses sous différents angles, alors si quelqu'un nous insulte ou se conduit mal de quelque manière, nous comprenons que cette personne se conduit mal parce qu'elle souffre. Dans cette perspective, on ne peut plus réagir de façon négative, mais seulement éprouver de l'amour et de la compassion envers la personne qui souffre, comme une mère en éprouverait pour un enfant malade. On veut alors aider cette personne à sortir de la souffrance. Ainsi on demeure paisible et heureux et on aide les autres à le devenir aussi."


A partir de ce regard là, il est donc malvenu de rajouter notre autorité à leurs difficultés. A Vipassana, il n'est pas autorisé, et perçu comme d'aucune aide, de donner des sanctions, avoir des mots durs, blessants, malintentionnées, ou pleins de colère. Comme l'image l'enseignant, cela correspondrait à lancer des flammes à quelqu'un qui est déjà entrain de bruler.


Ce qu'il veut dire par là, c'est qu'un adulte ou un enfant, lorsqu'il enfreint une règle ou se trompe, il se fait déjà beaucoup de mal à lui-même. Cela génère en soi-même beaucoup de souffrance de faire du mal à autrui ou de ne pas donner du respect.

Un enfant qui ment, tape ou insulte quelqu'un-e, qui abime ou vole quelque chose ou même va à l'encontre de la règle d'un lieu (transgresse la consigne de ne pas crier à l'intérieur par exemple), créait en lui des nœuds, des tensions, qui l'agitent. Cela l'enferme notamment dans une mauvaise image de lui, dont il est difficile de se défaire.


Ainsi, crier sur cet enfant, le juger négativement, le punir, etc, risquent fortement d'empirer son état intérieur. Ce qui rendra d'autant plus difficile d'obtenir de lui qu'il respecte les règles par la suite.


Ce dont ses enfants et ses personnes transgressives ont besoin, c'est donc d'aide et de compassion.


Comment alors, porter et faire respecter toutes ses règles, tout en restant dans une posture de compassion ?



Une autre manière de faire respecter les règles : la compassion


Voici ce que préconise l'enseignement de Vipassana, transformé à ma sauce parentalité :


1. Regarder en soi si on a l'esprit suffisamment équilibré et tranquille:

  • Est-ce que j'arrive à sentir de la compassion ? Ou est ce que j'ai de la colère?

  • S'il y a plus de colère que de compassion, alors prendre d'abord quelques instants pour se recentrer. (La technique de méditation enseigné aide beaucoup biensûr mais il y en a plein d'autres, prendre quelques respirations par exemple peut être très efficace !). Cette étape peut prendre juste une seconde, et parfois quelques heures, selon notre état et selon la nécéssité d'intevenir dans la situation.

C'est une étape importante qui aide vraiment à ne pas nous même commettre d'impair et rajouter de la souffrance chez l'autre. Cela va grandement nous aider à l'aider !


2. Aller voir la personne calmement, avec un sourire, plein de compassion et bienveillance

  • Pas un sourire de contentement ou de moquerie mais bien un sourire tendre, connectant, rassurant, qui dit sans mots "Nous savons tous les deux que ce n'est pas ok ce que tu as fait, je suis sûre que tu aimerai faire autrement ".

  • Avec les enfants, il est aussi important de se mettre à leur hauteur, de les regarder tendrement et calmement.

Parfois cette étape peut suffire, car adultes ou enfants, chacun-e sait la plupart du temps très bien quand il-elle a transgressé une règle. Les enfants n'ont pas vraiment besoin de nous pour leur rappeler, mais ils ont besoin de notre regard compatissant pour les aider à les respecter, d'abord pour eux-même,. Un sourire sans mots vaut souvent mieux que de rentrer dans de grands discours qui comportent plus de risques de blesser ou culpabiliser.



3. Lui dire que ce qu'elle fait n'est pas, ou ne semble pas, correct. avec des mots plein de sympathie, d'amour, de compassion et d'humilité.

  • Le répéter au maximum deux fois : si la personne n'a pas l'air de comprendre ou d'être d'accord, alors nous pouvons le dire à nouveau une deuxième fois, grand maximum trois fois.

En principe, que cette étape ait permis à l'autre de se réajuster ou non, notre travail de faire respecter la règle est terminé. Si l'envie de répéter encore et d'obtenir plus de résultat est présente en nous, Vipassana nous invite à nous questionner sur notre état mental, notre rapport au pouvoir, notre attachement à certaines manières de faire, etc. Il est souvent intéressant de savoir lâcher prise ou développer de la patience, et de la confiance ! (Biensûr cela dépend du niveau d'impact de la transgression, j'en reparle un peu plus bas !)


4. Générer encore plus de compassion

  • Que la personne ou l'enfant n'ait pas l'air d'avoir compris ou d'être d'accord avec notre remarque, en dire plus ou de manière plus virulente ne l'aidera pas (Les études en neurosciences sur le cerveau sont de cet avis aussi!)

  • Alors, il ne nous reste plus qu'à avoir et transmettre de la compassion pour cette personne, en se rappelant qu'elle souffre et a besoin d'aide, et surtout de ne pas générer d'animosité ou de colère contre elle. Nous pouvons lui dire ou penser vers elle des mots compatissants, tendres et soutenants.


Quelques exemples


  • Vous avez déjà eu à demander à votre enfant de se taire ou de faire moins de bruit à un moment inapproprié pour cela ?

Je me suis entrainée pendant le service : dès qu'une servante parler à voix haute dans un endroit où il n'est pas autorisé de parler, je me connectais quelques secondes à ma respiration, j'enfilais un sourire, et j'allais lui rappeler la règle le plus tendrement possible. Je me connectais au fait que c'était pas facile de se retenir de parler.

J'ai renouvelé ce rappel à plusieurs collègues plusieurs jours d'affilés (mais une fois à chaque fois). Parfois mon sourire était forcé, ce n'était pas facile de ne pas m'agacer de cette répétition quotidienne. Puis finalement, au fur et à mesure, cela est devenu de plus en plus sincère et joyeux. Parfois je faisais juste un signe ou lancer un regard souriant, et cela suffisait à rappeler cette règle difficile à respecter. Au lieu d'être aigrie ou d'avoir peur de passer pour une rabajoie, j'étais soulagée. Le plus encourageant, c'était que ça ne mettait pas une ambiance tendue, mes collègues de service ne semblaient pas s'agaçer de mes nombreux rappels.


  • Vous avez déjà dû faire face à des oublis de vos enfants ? Ils et elles savent qu'il est l'heure de s'habiller ou de mettre le couvert par exemple et ils ne le font pas ?

Je me suis aussi entrainée au centre lorsque je me rendais compte qu'un servant avait oublié l'une de ses tâches en cuisine. Ma première réaction, je vous l'avoue, était du jugement ''Il a oublié de faire ça, il est vraiment pas consciencieux! ". Il aurait été tentant de lui dire "T'as oublié de faire ça, t'abuses ! C'est moi qui vait devoir le faire ? ". Alors j'ai pris quelques secondes pour me tranquilliser et me rappeler que les oublis ça arrive à tout le monde et que ce n'est pas bien grave. Depuis cet espace là en moi, je suis allé le voir et avec le sourire, je lui ai demandé ''Je ne vois pas ça, est-ce que tu l'as oublié ? ''. Ainsi, nous avons pu continuer à collaborer dans une ambiance sereine !


  • Est-ce que vous vous êtes déjà retrouvé devant une conversation d'enfants où les jugements fusent sur d'autres ? Dans les fratries mais aussi à d'autres espaces sociales, cela peut souvent arriver, comme par exemple : "ma soeur elle est méchante", "mon frère il est nul", ''unetelle elle écoute jamais " " ou "tel cousin il est bizarre "

Au centre, je me suis retrouvée dans une conversation où des servantes critiquaient un étudiant qui avait eu un comportement particulier, et notamment qui avait transgressé certaines règles du centre. Elles étaient critiques et avaient des mots forts le concernant. J'oscillais entre être d'accord avec leurs opinions et être mal à l'aise de médire alors que la Sila nous incite à éviter de le faire. Puis à un moment je leur ai dit "Je me dis qu'on peut peut-être le voir comme quelqu'un en souffrance, qui est bloqué dans ces comportements, et lui donner de la compassion plutôt que de poser ces jugements sur lui, non ? ". Elles étaient d'accord avec moi, et n'avaient pas vu les choses sous cet angle, elles m'ont remercié de leur dire ça. Quelques minutes après elles ont recommencé à dire quelques mots critiques, mais beaucoup plus mesurés qu'au début. Je n'ai rien dit cette fois, je voulais lâcher prise et ne pas insister, j'avais suffisamment dit et je voyais le risque d'en rajouter, de mettre de la tension ou qu'elles le vivent comme du jugement sur elles, ce que je ne voulais pas.


  • Vous vous êtes déjà retrouvé face à votre enfant qui refuse de venir manger ?

Au centre, il est interdit de jeûner, chacun-e doit manger au moins un repas par jour. Si cette règle n'est pas respectée, c'est les enseignants qui vont voir les étudiant-es concernées. Dans ce moment, les enseignant-es ne récriminent pas, ne jugent pas les étudiant-es de rebel-les ou de mal élevé-es. Ils et elles vont plutôt veiller à ce que les étudiant-es comprennent pourquoi cette règle est importante, peut-être chercher à savoir ce qui les freinent à la respecter, et leur demande fermement de la respecter. Le non respect de règles comme celle-ci peut avoir des conséquences importantes, il est alors non négociable de la respecter et de la faire respecter.

Je pense que cette règle, et sûrement quelques autres, selon leur proportion, peuvent amener à l'exclusion du centre si elles ne sont pas respectés. La fermeté est aussi importante, et elle doit toujours être accompagné de compassion.


  • Vous avez déjà eu à faire à un conflit qui éclate entre les enfants ? Avec les mots et les coups qui partent ?

Pendant mon service, un conflit a aussi éclaté en cuisine entre des servants. Je ne pourrai vous en dire plus, parce que j'ai été complètement préservé de cette tension. De ce fait, les protagonistes ont été aussi préservé des éventuels jugements et commérages autour de ce conflit. Je sais seulement qu'un temps d'échange a été pris, et que l'enseignant a proposé à l'un des servants de continuer le cours en tant que méditant. J'ai ressenti beaucoup de sérénité autour de cette situation et aussi que beaucoup de compassion à été donné à leurs égards.


Encore plus avec les enfants


Bien sûr j'ai conscience que les exemples que je vous donne se déroulent avec des adultes, qui ont choisis d'aller dans ce centre et en connaissance de ces règles. Cela était biensûr plus facile qu'avec des enfants, dont la maturité neurologique et physique ne permet pas toujours aussi bien de respecter les règles qui sont données.


Cependant, je suis sûre qu'il vous ai déjà arrivé d'être de si bonne humeur que le non respect d'une ou l'aute de ces règles ne vous a pas autant agacé qu'à d'autres moments, et que c'est avec complicité et tendresse que vous avez cette fois-ci rappeler le cadre à votre enfant. Je suis sûre que cela, ce jour là, a favorisé une ambiance paisible et joyeuse, et que votre enfant a réagit avec plus de calme et de tranquillité que d'autres moments et qu'il a au moins un peu plus réussi à respecter cette consigne. Est-ce que vous avez aussi ce retour ?


Parfois aussi, nous avons tendance à en demander plus aux enfants que l'on ose en demander aux autres adultes, ou en prenant moins soin du lien. Pourtant, les enfants ont moins de capacité de base que les adultes pour se conformer à nos attentes. Ainsi ma comparaison adultes - enfants lors de mes exemples me tient à coeur aussi pour laisser entrevoir ces possibilités d'agir avec les enfants, comme on le fait quand on veut prendre soin du lien avec nos pairs adultes.


Ainsi, la compassion peut encore être plus grande avec ces enfants, encore en construction sur ces apprentissages !


Les différents niveaux de recadrage


Je n'ai pas vécu durant mon service de grande transgression de règle, et je ne sais pas encore comment se positionne le cadre dans des cas plus impactants. Je sais seulement qu'il peut arriver que des étudiant-es soient exclus s'ils ne respectent pas certaines règles très importantes pour le bon déroulé du cours de méditation.


Ce que je sais aussi et que je veux vraiment retenir, ancrer et partager, c'est que le recadrage, qu'il soit juste un petit signe sans mots ou une exclusion, il y a toujours de la compassion à donner.


Selon le niveau de nuisance de la règle enfreint par l'enfant, la fermeté peut ainsi être plus ou moins forte, mais je crois que le niveau de compassion doit augmenter de pair avec cette fermeté.



Courage et soutien sur le chemin de la compassion !


Entreprendre ce chemin de compassion dans la parentalité n'est pas aisé, cela demande de l'effort mais aussi de la tolérance pour soi lorqu'on y arrive moins.

Je vous souhaite à tous-tes de faire au moins quelques pas sur ce chemin, pour vos enfants mais aussi et surtout pour vous !

Avec les enfants, nous aussi nous avons beaucoup à apprendre :)




Avec joie et partage,


Sophie




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